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LE PROCÈS DU PANTHÉON
Sixième et dernière partie
4 JUIN – 10 et 11 SEPT 1908.

Dans cette série de messages pour ce Blog, vous pouvez lire des extraits du Procès du Panthéon.
Très peu de détails sur cet événement de grande importance sont publiés à ma connaissance.
Pour vous démontrer à quel point le résultat du jury fut ignoble, je transcris ici quelques pages.

André PAILLÉ

Source (Copie de la page couverture)

LE PROCÈS DU PANTHÉON 4 JUIN – 10 et 11 SEPTEMBRE 1908
GRÉGORI – DREYFUS ET ZOLA DEVANT LE JURY
LA RÉVISION DE LA RÉVISION
PRÉFACE ET PORTRAIT DE GRÉGORI
COMPTE RENDU STÉNOGRAPHIÉ ET REVISÉ DES DÉBATS
AUX BUREAUX DE LA « LIBRE PAROLE »
14, Boulevard Montmartre, 14
PARIS
CET EXEMPLAIRE DE PROPAGANDE DOIT ÊTRE REMIS GRATUITEMENT


Note :
Attendu qu’il est question ici d’une publication de propagande par « La Libre Parole » ; nous trouvons pratiquement rien sinon ½ page, en faveur de Dreyfus et Zola,
sous le titre
« LE RÉQUISITOIRE »
transcription ci-dessous.

On y trouve cependant :

La « Déclaration de Grégori » de la page 112 à la page 141
La « Plaidoirie de Me Joseph MENARD »
[avocat de Grégori] de la page 143 à la page 165.

QUESTIONS :
1- Existe-t-il un « Compte rendu sténographique ‘in-extenso’ sur le procès du Panthéon ? »
2- Où pouvons-nous l’obtenir ?
3- Si Grégori était jugé aujourd’hui, connaîtrait-il le même verdict ?


André PAILLÉ

LE RÉQUISITOIRE page 141

L’avocat général Lescouvé prononce un réquisitoire relativement modéré. Il déclare que sa tâche est bien simplifiée. Tous ses efforts, dit-il, tendront à restituer à cette affaire le caractère qui lui est propre. La matérialité des faits est reconnue ; vous vous demanderez, Messieurs les Jurés, s’il y a eu l’intention de donner la mort ; vous vous demanderez si Grégori a prémédité son acte, et ensuite quel mobile l’a fait agir.
Il examine successivement ces trois points, énumère les peines qu’encourra Grégori suivant que le jury le déclarera coupable de crime ou de délit : de cinq à vingt ans de travaux forcés, dans le premier cas, de deux à cinq ans de prison, dans le second.
« J’éprouve, dit-il, quelque hésitation à me montrer impitoyable à son égard, mais vous n’avez pas le droit de l’acquitter, ce serait un véritable déni de justice. » Puis il traite l’acte de Grégori de battre et de réclame, et termine par une péroraison sur la marche du progrès vers un idéal de justice et d’humanité.

LE VERDICT page 166-167

Les applaudissements éclatent aux derniers mots de l’émouvante péroraison de Me Joseph Menard ; et ils sont à peine calmés, ces applaudissements partis malgré les menaces d’évacuation de la salle répétées à maintes reprises par le président, que celui-ci donne lecture au jury des quatre questions qui lui sont posées :

1- Grégori (Louis-Vincent-Anthelme) est-il coupable d’avoir, le 4 juin 1908, commis contre le commandant Alfred Dreyfus une tentative de meurtre, laquelle tentative n’a manqué son effet que par des circonstances indépendantes de la volonté de son auteur ?

2- Ladite tentative de meurtre volontaire a-t-elle été commise avec préméditation ?

Question subsidiaire résultant des débats :

3- Grégori (L.-V.-A.) est-il coupable d’avoir fait des blessures et porté des coups sur la personne de M. le commandant Alfred Dreyfus ?

4- Lesdits coups et blessures ont-ils été faits ou portés avec préméditation ?


Le jury se retire dans sa chambre des délibérations. Il y reste à peine vingt minutes.

Le coup de marteau annonçant sa rentrée si prompte dans la salle d’audiences retentit comme un signe favorable. Le visage des jurés reprenant place sur leurs bancs paraît radieux. Et d’une voix forte et assurée qui porte dans le silence religieux de tous comme l’affirmation puissante de la conscience nationale, le président de Jury, M. Bourguignon, répond : Non ! sur toutes les questions.

Ce Non ! et la façon dont il est dit à cette heure solennelle sont d’un prodigieux effet. Des applaudissements y répondent.

C’est à peine si la Cour peut prononcer l’acquittement de Grégori, lorsque les gardes le ramènent, toujours maître de lui, toujours d’un calme absolu.

« Vive le jury ! Vive la Nation ! » s’écrie l’acquitté. Les applaudissements redoublent, l’ovation se déchaîne en tempête à faire crouler la salle. Toutes les mains se tendent vers Grégori comme pour serrer les siennes, ce pendant que des Hou ! hou ! significatifs accompagnent les Juifs et les Blocards qui avaient attendu le verdict.

Les gardes républicains enlèvent presque Grégori pour le soustraire aux acclamations et aux étreintes ; et tandis qu’ils le remmènent paur la levée d’écrou, qu’il s’agit d’aller faire à la prison de la Santé, la manifestation populaire s’étend, de plus en plus vibrante et enthousiaste, au dehors du Palais, franchissant les ponts, et portant par tout Paris,le cri de : Vive Grégori !

Magnifique et réconfortante démonstration qui montre bien que nous ne devons jamais désespérer du pays.


[Commentaires non signés, concluant cet exemplaire de propagande de la Libre Parole.
« LA LIBRE PAROLE » journal politique et antisémite français (Paris, 1892 - juin 1924) fondé en 1892 par l'antisémite et polémiste Édouard Drumont, (1844-1917) auteur du livre La France Juive.]



FIN
LE PROCÈS DU PANTHÉON
Cinquième partie
4 JUIN – 10 et 11 SEPT 1908.

Dans cette série de messages pour ce blog, vous pouvez lire des extraits du Procès du Panthéon.
Très peu de détails sur cet événement de grande importance sont publiés à ma connaissance.
Pour vous démontrer à quel point le résultat du jury fut ignoble, selon moi, je transcris ici quelques pages.
QUESTION.
Si Grégori était jugé 100 ans plus tard, connaîtrait-il le même jugement ?

Transcription André PAILLÉ

Ces pages sont aussi publiées dans le Forum des Cahiers-Naturalistes.
http://forum.cahiers-naturalistes.com/index.php

Source (Copie de la page couverture)

LE PROCÈS DU PANTHÉON 4 JUIN – 10 et 11 SEPTEMBRE 1908
GRÉGORI – DREYFUS ET ZOLA DEVANT LE JURY
LA RÉVISION DE LA RÉVISION
PRÉFACE ET PORTRAIT DE GRÉGORI
COMPTE RENDU STÉNOGRAPHIÉ ET REVISÉ DES DÉBATS
AUX BUREAUX DE LA « LIBRE PAROLE »
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Page 64

LES TÉMOINS

Alfred Dreyfus

A la reprise de l’audience, la Cour procède à l’audition des témoins cités par l’accusation.

Page 65

R .— J’étais debout, dit Dreyfus, entre mon frère et ma femme, la cérémonie venait de prendre fin, et j’attendais de me mettre à la suite du cortège, après Mme Zola, quand j’entendis derrière moi le bruit d’une détonation ; — comme l’éclatement d’un fort pétard. Je me retournai et je me trouvai face à face avec l’inculpé, l’arme tourné vers moi. Je vis la lueur d’un coup de feu, et par un mouvement naturel, je portai la main à la poitrine. Je vis mon frère se jeter sur l’inculpé, avec d’autres personnes ; quant à moi, je fus conduit dans une pharmacie où je fus pansé. C’est dans l’après-midi seulement que je me rendis compte de ma blessure à l’avant-bras droit.

D .— Vous êtes bien certain que le revolver était dirigé perpendiculairement à votre poitrine?….. Combien de secondes ont séparé le second coup du premier ?

R .— quelques secondes. Je me suis retourné vivement, j’ai vu la lueur du deuxième coup, et voici le mouvement que j’ai fait. (Le témoin porte la main droite à sa poitrine.)

D .— Monsieur Grégori, avez-vous des questions à poser au témoin ? Vous voudrez bien le faire avec calme, en les posant par mon intermédiaire.

R .— Je le ferai avec d’autant plus de calme que je n’ai pas l’ombre d’une animosité quelconque contre M. Alfred Dreyfus personnellement.
Je déclare simplement que sa version est, je ne dis pas controuvé, mais irréalisable, et j’offre en ce moment, — comme j’aurais pu le demander par une expertise si ce n’avait été compliquer la procédure. — de prouver qu’il est impossible que M. Dreyfus, regardant passer le cortège, ait pu se retourner en voyant la lueur du coup de feu, ce qui indique que le coup était parti. — et porter son bras à la poitrine pour se protéger. Non, non, M. Dreyfus n’a pas pris cette attitude sculpturale qu’il lui plaît de se donner.
J’ai tiré presque simultanément les deux coups de revolver, le bras de M. Dreyfus étant dans cette position (le bras couvrant la poitrine), il me paraît conforme aux lois de la capillarité que le sang ait d’abord afflué par ici (vers le coude) ; or, M. Dreyfus avait du sang sur la manchette. Il est évident que s’il y avait du sang è cet endroit, c’est parce que M. Alfred Dreyfus avait le bras comme ceci (en bas) Je le défie d’établir l’affleux du sang avec la version qu’il nous donne. » Je n’ai aucun intérêt à indiquer cela, seulement je suis sûr de moi et M. Alfred Dreyfus n’est pas sûr de lui.

Page 66

DREYFUS. — Je maintiens ma déposition.

(…)

Page 67

Mathieu Dreyfus

— Mon frère était à ma gauche….. j’entends deux détonations….. je vois un homme avec le revolver tendu sur mon frère….. Je me précipite, on se précipite sur lui…… Je le défends contre les gens qui vont le lyncher….. Mais je lui demande si son revolver était chargé à balles ; il m’a répondu deux fois non. L’accusé mentait pour sauver sa vie. (Protestations dans l’auditoire.)
— Je mens moins que votre frère, réplique Grégori.
Et comme Mathieu Dreyfus veut reprendre sur le même ton élevé et agressif, Grégori poursuit :
— M. Mathieu Dreyfus vient de se poser comme mon sauveur. Quand, à moitié assommé, tout sanglant, je gisais sur les banquettes, un individu se penche sur moi qui me crie avec un fort accent étranger : « Votre revolver a-t-il des « balles » ? Je lui réponds n’importe quoi, n’ayant pas à répondre à un inconnu, et je ne connaissais pas cet interlocuteur.
Peu après, à la mairie du Panthéon, comme il recommençait son histoire de « balles », je lui demande son nom. — Mathieu Dreyfus. — Alors, lui ai-je dit, je rends hommage à votre conduite envers votre frère.
— Vous m’avez dit : « Je vous salue! » fait Mathieu Dreyfus.
— C’est bien ça : « Je vous salue. » Mais je vous ai dit aussi : « Je vous ai vu au Conseil de
guerre du Cherche-Midi, le 19 Décembre 1894, en même temps que votre frère, ne l’oubliez pas. Et maintenant, taisez-vous ! »

Page 68

Le Docteur Balthazard

Le Docteur Balthazard, médecin légiste, fait une déposition minutieuse dont il ressort, en substanec, que les blessures étaient tout à fait anodines : celle de la face postérieure du bras n’avait aucune gravité ; celle de l’avant-bras avait déterminé une légère effusion de sang, mais la balle n’avait pas pénétré. (Les deux projectiles furent retrouvés à terre.)
Le docteur explique le fait, en partie, par la curieuse résistance du drap dont la redingote de Dreyfus était faite ; drap d’une solidité telle que M. Balthazard n’en a jamais vu de pareil, et qui avait amorti la force pénétrante du projectile, de médiocre qualité, d’ailleurs.

M. Mouquin, chef du Service des recherches à la Préfecture de Police, raconte la scène à son tour ; parlant de la foule d’assistants qui frappaient Grégori : « C’était une véritable scène de lynchage ! dit-il. Sans moi, Grégori aurait été tué. »
— Oui, vous m’avez même observé, réplique Grégori, que si vous ne m’aviez pas fait entourer par les gardes républicains, sabre au clair, j’étais perdu !
— C’était des cavaliers de la garde républicaine en grande tenue qui, formant à pied la haie d’honneur, comme dans les grandes cérémonies officielles, avaient le sabre à la main.
— Mais c’est à tort, ajoute Grégori, que vous avez cru m’entendre crier : « Ne me tuez pas ! » selon vos déclarations au juge d’instruction. Ce cri venait d’un autre que moi.
M. Delaissement, huissier à la Chambre des députés, déclare que c’est lui qui criait : « Ne le tuez pas ! »

(…)

Page 81

DEUXIÈME JOURNÉE Vendredi 11 Septembre 1908

SUITE DES TÉMOINS

(…)

Page 82

M. le Professeur Pozzi

D .— Veuilez vous tourner du côté de MM. les jurés et faire votre déposition.

Le Témoin. — Je me trouvais au Panthéon, le 4 juin, avec mes collègues de l’Académie de Médecine qui faisaient partie de la délégation. (…) Au moment où je m’engageais dans l’allée conduisant à la sortie, j’entendis deux coups de feu et je vis se produire un grand brouhaha. Je me suis précipité instinctivement, lorsqu’on me dit que le commandant Dreyfus était blessé.
J’étais à quelques pas de Dreyfus, je m’approchai de lui demandai ;.— Où êtes-vous blessé ? Il me répondit ; — Je crois que c’est au bras. Je lui dis : — Il faut immédiatement sortir afin de vous panser….. Il était impossible de savoir quelle était la gravité de la blessure et il faut toujours en pareil cas mettre les choses au pis ; il pouvait y avoir une lésion d’un vaisseau ou d’un os, et il fallait l’immobiliser et porter remède aux accidents primitifs. Je pris le commandant Dreyfus avec moi et le fis sortir par la porte latérale du côté de la Mairie. Je lui soutenais le bras un peu élevé, au cas d’hémorragie. Je vis que sa manchette était souillée de sang. Je lui demandai : — Souffrez-vous ? — Non, mais je sens un engourdissement dans le bras.
On n’a pas beaucoup remarqué notre sortie. Nous sommes arrivés à la Mairie dont j’ai fait fermer les portes. J’étais accompagné de mon collègue, M. Léon Bernard, médecin des hôpitaux, qui se trouvait également là, et par mon frère député et médecin. Quoi qu’il y eût une douzaine de personnes dans la salle, nous avons pu procéder au pansement immédiat. J’ai coupé la manche et nous avons pu voir alors qu’il existait une blessure au niveau de la face dorsale de l’avant-bras droit. Cette blessure avait tout les caractères d’une plaie dite pénétrante, c’est-à-dire intéressant la peau ; elle était d’aspect noirâtre et le sang s’en écoulait par un filet qui avait abondamment souillé la manchette. Je m’assurai que les os n’étaient pas fracturés ; je vis qu’il n’y avait pas d’orifice de sortie, qu’il n’y avait pas d’accident immédiat. Il s’agissait donc de faire l’occlusion aseptique de la plaie pour éviter l’infection et de reconduire le commandant Dreyfus chez lui. Un jeune médecin colonial qui était là en costume, voulut bien aller chercher les objets de pansement chez un pharmacien ; de la gaze indo-formée, des antiseptiques, etc. Je fis un lavage. A ce moment quelqu’un me demanda : — Vous n’essayez pas d’enlever la balle ? Je dis : — Si la balle y est, il sera temps de l’enlever plus tard. Il faut s’assurer si elle y est, et nous n’avons pas ici les moyens de faire cette recherche soit en sondant, ce qui eût été dangereux, soit par les rayons X.
J’avais envoyé chercher mon automobile qui était voisine et j’y fis monter le commandant avec Mme Dreyfus qui était d’un calme si parfait que je demandai : — Quelle est cette dame ? Est-elle parente du blessé ? On me dit : — C’est sa femme….. L’un et l’autre étaient d’un calme absolu.
Je demandai au commandant Dreyfus : — Avez-vous vu comment vous avez été blessé ? Il me dit : — J’ai entendu une détonation par derrière moi ; je me suis retourné, et instinctivement, voyant que j’étais visé, j’ai placé mon bras pour me protéger…. Le commandant Dreyfus était beaucoup plus ému de ce qu’il avait été frappé par derrière que de ce qu’il avait été frappé même. Il me dit : — C’est une lâcheté de m’avoir frappé par derrière, et il le répéta plusieurs fois.
La balle, ainsi que nous le vîmes par l’examen aux rayons X, avait pénétré dans la peau qui était détruite, mais elle n’était pas restée dans la blessure. Il s’était produit ce qui se produirait si on tirait contre un mur recouvert d’une tapisserie ; la tapisserie serait percée, mais la balle ne pénétrerait pas dans le mur.
Nous fîmes une injection antitétanique, de façon à éviter tout accident.
Tout se passa avec simplicité et, au bout de trois semaines, la cicatrisation était complète. Mais, pendant plusieurs jours, la plaie avait été béante, il y avait eu une petite escarre, une partie mortifiée qui s’était détachée, comme cela arrive lorsque la peau a été intéressée.

(suite au prochain message)
Transcription André PAILLÉ

LE PROCÈS DU PANTHÉON
Quatrième partie
4 JUIN – 10 et 11 SEPT 1908.

Dans cette série de messages pour ce blog, vous pouvez lire des extraits du Procès du Panthéon.
Très peu de détails sur cet événement de grande importance sont publiés à ma connaissance.
Pour vous démontrer à quel point le résultat du jury fut ignoble, selon moi, je transcris ici quelques pages.
Ces pages sont aussi publiées dans le Forum des Cahiers-Naturalistes.

QUESTION

Si Grégori était jugé 100 ans plus tard, connaîtrait-il le même jugement ?

Transcription André PAILLÉ

Source (Copie de la page couverture)

LE PROCÈS DU PANTHÉON 4 JUIN – 10 et 11 SEPTEMBRE 1908
GRÉGORI – DREYFUS ET ZOLA DEVANT LE JURY
LA RÉVISION DE LA RÉVISION
PRÉFACE ET PORTRAIT DE GRÉGORI
COMPTE RENDU STÉNOGRAPHIÉ ET REVISÉ DES DÉBATS
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Page 49


R .—Si vous voulez que je dégage ma pensée, pour ne pas être en retard de courtoisie vis-à-vis
de vous ?…..

D .—Laissons la courtoisie. Vous êtes accusé de tentative d’assassinat. Votre rôle est assez grave pour que vous vous expliquiez comme vous le voudrez ; je n’ai qu’un désir, c’est que vous vous montriez tel que vous êtes. Seulement, laissez-moi appeler votre attention sur ce qu’il y a de bizarre à ne pas répondre par oui ou par non à la question même de crime….. Vous ne le voulez pas, passons.
Seulement, je vais vous dire quelque chose ; je le dirai en termes que vous ne réprouverez pas, parce qu’ils sont employés par ceux qui prétendent vous être utiles et qui veulent faire une auréole autour de vous. Si vous n’avez pas voulu tuer le commandant Dreyfus, si vous n’êtes pas un assassin, un meurtrier, si le commandant Dreyfus n’a pas couru de danger et si vous n’avez pas couru le danger d’une condamnation pour crime, pour prendre les termes de vos amis, votre geste n’a plus la même ampleur.

R.—C’est une question que, vous le comprendrez, Monsieur le Président, je n’ai jamais envisagée. J’ai regardé ce que j’appellerais l’impudence du Dreyfusisme, à vouloir faire une parade militaire en l’honneur de Dreyfus, à vouloir faire une parade militaire en l’honneur de Dreyfus et de Zola. Comment pouvais-je traduire ma protestation ? Je vous le demande à vous-même.

D .—Je vous réponds simplement : si j’étais dans votre cas, je dirais : « Oui, j’ai voulu le tuer, » ou : « Non, je n’ai pas voulu le tuer. » J’ai voulu le tuer, c’est un crime ; je prends la responsabilité de mon acte. Je n’ai pas voulu le tuer, je n’ai voulu que le blesser et produire une manifestation….. » Je tâcherais de répondre au jury avec précision, afin que l’on connût bien ma pensée.

Page 50

R .—Ne venez-vous pas, si vous me permettez de l’indiquer, de répondre à la question en rappelant ce que j’ai dit : « Je prends la responsabilité de mon acte. »

D .—Ce sont des mots vagues.

R .—C’est le jury qui sera le juge définitif.

Page 56

D .—(…) Arrivons à la préméditation.
Avez-vous, oui ou non, prémédité le crime, puisque vous êtes accusé de crime ? C’est à vous de répondre : « Ce n’est pas un crime, c’est un délit, je n’ai voulu que blesser. »

R .—Je manquerais de sincérité, si je ne disais pas que je pensais à faire une manifestation, comme je l’ai expliqué plus tard, contre la participation des troupes à la cérémonie du Panthéon. Mais cette préméditation (je ne voudrais pas donner à mes paroles plus d’emphase que ma pensée n’en comporte), cette préméditation était adéquate aux préparatifs de la cérémonie.
Supposez qu’il y ait eu une cérémonie purement littéraire…..

D.—Je connais quelqu’un qui avait fait des observations sur une cérémonie qui lui avait paru avoir un caractère peu sérieux et qui aurait voulu avoir la plume de Zola pour la dépeindre…..

Page 57

R .—Oui, c’était votre serviteur, et cela se passait à Suresnes. Mais je n’ai pas trouvé d’écho, lorsque j’ai fait ma proposition.

D .—Et la constatation s’en trouve quelques feuillets plus loin, dans votre agenda. Mais revenons au Panthéon.

R .—Je me demandais : Est-ce que l’armée participera à la cérémonie ?
On peut trouver excessive la glorification de Zola au Panthéon pour la lettre J’Accuse, et nous aborderons cette question tout à l’heure. Je trouve que Zola aurait pu être honoré comme littérateur d’une puissance incontestable peut-être, et comme un sous-chef d’école, car ce n’est pas lui qui a inauguré le grand roman réaliste. Mais je passe là-dessus. Il n’y a qu’une question, c’est celle de savoir si Zola, auteur de la lettre J’Accuse et auteur de la Débâcle, devait recevoir les honneurs militaires au Panthéon.

Ceci n’est pas pour me dérober….. La question pour moi était de savoir si la troupe figurerait à la cérémonie, et du jour où j’ai vu qu’elle figurait au programme, je reconnais avoir prémédité mon acte. La question doit être circonscrite sur ce terrain. J’ajoute, non comme circonstance atténuante, mais pour la véracité du récit, que si les troupes avaient été supprimées du programme, vous n’auriez pas plus entendu parler de moi que vous n’en aviez entendu parler auparavant.
Quand j’ai regardé le programme de la cérémonie, et quand j’ai vu y poindre la figuration de l’armée en l’honneur de celui que je considère comme le premier antimilitariste, car il a été le promoteur de l’antimilitarisme, je me suis dit que je laisserais pas passer cette cérémonie sans faire un geste.

D .—Donc, il y a eu préméditation certaine.

R .—Parallèle et adéquate à l’élaboration du programme et à l’inscription d’une parade militaire dans ce programme.

D .—C’est absolument net ; vous avez au moins le mérite de la franchise absolue sur ce terrain.
(…)


Page 59

Le président fait extraire des pièces à conviction l’agenda de M. Grégori.

(…)
D .— (…) Puis plus bas : « Mon testament….. 5.000 francs chez le notaire Rigault, 8, boulevard Sébastopol. » Voulez-vous vous expliquer là-dessus ?

R .— « Mon testament », cela n’avait aucune prétention emphatique. Cela signifiait simplement que je pouvais laisser ma peau le lendemain. Il faut tout prévoir.

D .— Vous donnez bien là l’indication de la gravité que vous attachiez au cas dans lequel vous vous mettiez le lendemain.

R .— Je comprenais la gravité qu’il y avait à me trouver seul dans la réunion du Panthéon.

D .— Pourquoi y avez-vous été ?

R .— Parce qu’il me paraissait impossible de laisser passer, sans protestation, cette cérémonie dans laquelle on faisait figurer l’armée.

Page 60

D .— Votre crime rentre dans la catégorie des crimes fanatiques.

R .— Nullement ! Crime raisonné.

D .— Ce n’est pas la colère d’un homme contre un homme ; ce n’est pas le crime de cupidité, ce n’est pas le fait de voler à quelqu’un son porte-monnaie. Votre crime, je le fais rentrer dans la liste longue des crimes et des attentats qui sont survenus à des heures données, des crimes célèbres que les psychiâtres et les anthropologues appellent des régicides, non que celui qui en est victime soit toujours un monarque, mais parce qu’il est un personnage connu, sur lequel s’exerce une vengeance qui est le résultat de colères collectives et non pas individuelles. Vous n’avez pas voulu nous dire si vous êtes un meurtrier ou un assassin, ou si vous n’êtes qu’un délinquant.

R .— J’ai été un protestataire.

D .— C’est entendu ! La protestation, c’est le mobile ; vous vous expliquez bien sur le mobile, mais vous ne voulez pas vous expliquer sur l’acte lui-même.
Je ne sais pas en sommes à qui il faut vous comparer. Je ne voudrais vous comparer à personne et que vous vous montriez au jury tel que vous êtes. Si vous disiez : « J’ai voulu tuer le commandant Dreyfus », je vous rappellerais le mot de cet homme qui rappelait le droit que Brutus avait sur la vie de César. Ce n’est pas votre cas.

R .— Je n’ai pas eu la moindre haine contre le commandant Dreyfus. M. Alfred Dreyfus a été victime des fatalités de sa race, de son caractère, et des circonstances que nous verrons. Mais j’ai eu l’animosité la plus vive, je le reconnais, à voir le chambardement militaire exécuté par le Dreyfusisme.
Lui, M. Alfred Dreyfus, a peut-être droit, après les épreuves qu’il a subies, quoiqu’il en ait été l’auteur, puisqu’il est parfaitement coupable, nous verrons cela tout à l’heure…..

D .— Faisons des réserves ; nous verrons ce que nous aurons à voir.

R .— Je répète que M. Alfred Dreyfus a peut-être droit à une certaine pitié en raison des épreuves qu’il a subies. C’est pour vous dire que de haine contre le commandant Dreyfus, comme il est allégué dans l’acte d’accusation, je n’en ai pas. Je ne hais qu’une chose, c’est ce qu’à fait le Dreyfusisme.

D .— Votre réponse est mystique.

R .— C’est une affaire qui est plus d’expression et de symbole que personnelle.

D .— Regrettez-vous ce que vous avez fait ?

Page 61

R .— Non. Je dis plus ; il est probable que je le referais, les mêmes circonstances se reproduisant, et c’est ce qui devra ressortir de mes explications ultérieurement. Je considère que nous étions provoqués : je parle de nous qui attachons aux idées de puissance militaire un intérêt primordial, sans être des buveurs de sang. Par conséquent, je n’ai rien à regretter, parce que les auteurs de la cérémonie du Panthéon, à quelque date qu’ils eussent placé cette manifestation insultante pour l’armée, provoquaient eux-mêmes la manifestation et portaient un défi.
J’ai accepté la responsabilité entière de mes actes, et si c’était à refaire dans les mêmes conditions, je le referais.

D .— Avant de suspendre, écoutez. J’ai le désir très formel de laisser à votre défense toute sa liberté. Vous êtes accusé de tentative d’assassinat. A vrai dire, vous ne courez pas les risques de ceux qui, avant vous, ont tué, voulu tuer ou blesser une personne en vue. De ceux-là, le nombre est grand qui ont été au bout et ont connu l’échafaud. Vous ne risquez pas la peine dernière. Mais les articles de loi visé contre vous rendent votre cas assez grave. La peine suprême, n’en parlons pas. Votre âge vous met même à l’abri des travaux forcés.

R .— C’est un détail que j’ignorais.

D .— Mais, si grande que soit la liberté de votre défense, je vous supplie d’éviter les incidents que je serais forcé d’arrêter et que je ne manquerais pas d’arrêter. Écoutez bien : la question d’innocence du commandant Dreyfus, sur laquelle vous pouvez avoir l’opinion que vous voulez….. je ne cherche pas à vous convaincre, croyez ce que vous voulez croire. On vous acquittera ou l’on vous condamnera. On ne vous demandera pas de faire amende honorable ; on ne vous demandera pas de sortir d’ici en frappant la terre du pied et en disant : « Et cependant, il est coupable ! » Mais la Cour de cassation s’est prononcée d’une façon formelle, définitive, irrévocable.

[Audience suspendue]

(suite au prochain message)
Transcription André PAILLÉ
LE PROCÈS DU PANTHÉON
Troisième partie
4 JUIN – 10 et 11 SEPT 1908.

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QUESTION

Si Grégori était jugé 100 ans plus tard, connaîtrait-il le même jugement ?

André PAILLÉ

Source (Copie de la page couverture)

LE PROCÈS DU PANTHÉON 4 JUIN – 10 et 11 SEPTEMBRE 1908
GRÉGORI – DREYFUS ET ZOLA DEVANT LE JURY
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Page 45

(…)

D.—Arrivé par derrière et vous trouvant obliquement près du commandant Dreyfus, par suite du mouvement qu’il a fait, vous avez tiré deux coups de revolver.

R.—Si vous voulez que je reconstitue, dans la mesure du possible, la scène…..

D.—Je vais mettre quelqu’un à côté de vous ; vous le ferez placer dans la position que vous voudrez et vous donnerez à MM. Les jurés les explications que vous voudrez.
M. Grégori est amené devant la Cour, et M. le président fait approcher de lui un brigadier de la Sûreté.
Les deux hommes reconstituent la scène du Panthéon.
M. Grégori. — Le cortège passe….. j’arrive évidemment comme un monsieur un peu pressé, M. Alfred Dreyfus, entendant du mouvement derrière lui, tourne légèrement la tête et reprend immédiatement la position de corps et de tête, regardant le cortège. Il m’a vu. Je fais pan! pan!….. Et voilà la scène reconstituée.

D.—C’est beaucoup, pan! pan!….. je voudrais : pan, d’abord.

R.—Si j’avais le revolver, ce serait beaucoup plus parlant et définitif….. L’arme est là ? Eh bien, donnez-moi l’arme….. (Avec un sourire.) Vérifiez qu’elle ne soit pas chargée.
L’huissier prend le revolver parmi les pièces à conviction et le présente à l’accusé qui le reconnaît, à la défense et à MM. Les jurés. Puis le remet à M.Grégori.
M. Grégori, au brigadier de police. — Veuillez regarder le cortège….. Vous entendez un léger bruit et vous tournez la tête, puis vous reprenez la position primitive, regardant le cortège….. Alors, je tire.
Grégori tire deux coups de son revolver en visant au bras.

Page 46

D.— Étiez-vous aussi près que cela ?

R.—Dans la mesure où je puis reproduire la scène, je suis à la distance où je me trouvais.

D.—Il y avait entre vous et le commandant Dreyfus au moins une banquette.
Le premier coup a atteint le commandant Dreyfus dans le haut du bras ; il a produit, du reste, une blessure si peu grave que le commandant Dreyfus a déclaré lui-même qu’il ne s’en était pas aperçu.

R.—Je crois que c’est une erreur ; je crois qu’au contraire M. Alfred Dreyfus a fait : « Ha ! ha! »

D.—Il a entendu une détonation, mais a déclaré ne pas s’être aperçu du traumatisme. Il s’est retourné à la détonation, croyant à un pétard, car tout le monde s’attendait à ce qu’il y eût peut-être du bruit, et il a dit : Ha ! « voilà la manifestation! »

R.—Je crois pouvoir opposer ma version qui est la suivante : Le commandant Dreyfus, au premier et au second coup qui se sont succédé avec une rapidité, je dirai électrique, a senti le choc et a dit : « Ha ! ha! »

D.—Pour le premier coup ?

R.—C’est entre les deux coups qu’il a fait ; « Ha ! ha! »….. ou plutôt, les deux coups se sont succédé très rapidement….. Je vais tirer, et pourvu que mon arme fonctionne, vous verrez que monsieur ne peut pas se retourner après le premier coup…

D.—Nous verrons cela avec les témoins, et si vous désirez redescendre dans l’enceinte de la Cour pour donner des explications sur place, vous redescendrez.
Il s’est retourné, croyant à un pétard. Il a vu un homme, face à face, à cinquante centimètres, et il aurait instinctivement relevé le bras.

R.—Vous avez bien fait de mettre le conditionnel, parce qu’il n’a pas relevé le bras. J’étais rejeté sur les banquettes avant qu’il eût pu faire cette volte-face.

Page 47

D.— (…) Sous la réserve de compléter vos explications, je voudrais que vous disiez maintenant ce que vous avez voulu faire, quelle a été votre intention. A ce moment, au moment où vous avez tiré les deux coups de revolver, avez-vous, ou n’avez-vous pas eu une intention homicide ?

R.—Si je puis serrer ma pensée au plus près, je dirai : D’une façon en quelque sorte symbolique. J’ai tiré Alfred Dreyfus à son bras droit parce que, le considérant comme justement condamné (et ce sera ma démonstration à faire à MM. les jurés), et l’ayant devant moi, je donnais à mon geste cette signification : la livraison des documents, qui n’est pas douteuse pour un homme de bonne foi, faite par le capitaine Dreyfus à l’étranger avait été faite en écrivant de la « main droite, » et c’est à la « main droite » que je visais.

D.—Je voudrais que vous répondiez avec plus de netteté. (…) Avez-vous eu, ou n’avez-vous pas eu une intention homicide ?

Page 48

R.—Sans vouloir me dérober à la réponse que vous demandez, Monsieur le Président, je crois que ma réponse est complètement exposée dans ma déclaration initiale au Panthéon.

D.—C’est que justement, elle ne l’est pas….. Aux Assises, nous recommençons tout, l’instruction est orale. Là, vous êtes devant vos juges naturels : dites-leur d’une façon simple si vous avez voulu tuer ou non ?

R.—MM. les jurés, auxquels je fournirai des explications bien complètes, seront eux-mêmes les juges de mon intention ; c’est eux qui trancheront la question à laquelle, Monsieur le Président, vous me demandez de fournir une réponse. Je m’en réfère à mes déclarations à la mairie du Panthéon, où s’explique d’une façon générale, je ne dirai pas mon état d’âme, c’est peut-être prétentieux, mais la manifestation que je voulais faire.
Si vous voulez me permettre de redire ce qui, à mon avis, est la définition complète de mon acte, je vais le redire, et MM. les jurés le comprendront.
J’ai dit, à la mairie du Panthéon, quelques instants après mon arrestation : « Je n’ai pas tiré sur Alfred Dreyfus, j’ai tiré sur le Dreyfusisme venant porter à la population parisienne, à l’opinion publique et aux sentiments de la plus grande partie du pays un défi qu’il y aurait eu lâcheté à ne pas relever. Je n’appartiens à aucun parti politique. C’est comme militariste, comme syndic et probablement doyen de la presse militaire parisienne que j’ai voulu venger l’armée de l’injure que je considère lui être faite par cette participation inutile et scandaleuse à la cérémonie du Panthéon en l’honneur de l’auteur du roman La Débâcle et de la lettre J’Accuse. » Voilà quelles ont été mes déclarations à la mairie du Panthéon.
Voilà l’explication que je présente au jury, et c’est lui qui appréciera mon acte.

D.—Le jury vous a écouté avec la plus grande attention ; mais vous n’avez pas répondu à ma question bien nette : « Avez-vous voulu tuer ? » Vous faites une réponse très mystique : « Je n’ai pas voulu tuer Dreyfus, mais le Dreyfusisme. » Ce sont là des mots, ce n’est pas une réponse. Précisons : Vous avez voulu tuer le Dreyfusisme en tuant le commandant Dreyfus.

R.—Monsieur le Président, je crois que ma réponse est contenue dans ma déclaration, et que mon intérêt et surtout la ligne des explications que je dois fournir, est de me référer exclusivement à ce commentaire initial. J’y reste et tiens à y rester.

Page 49

D.—Plusieurs fois — et je n’ai pas voulu relever votre phrase — vous avez parlé d’une manifestation que vous aviez voulu faire. Il semblait, dans le cours de votre langage, que vous aviez voulu faire une manifestation : blesser le commandant Dreyfus et non le tuer. Eh bien, je vous ai posé cette question : « Aviez-vous une intention homicide », et vous n’avez pas voulu me répondre.

R .—J’ai tiré sur le Dreyfusisme !

D.—C’est très mystique ! En Cour d’Assise, nous sommes plus simplistes : quand nous interrogeons un homme, accusé de tentative d’assassinat, nous lui demandons simplement ; « Avez-vous voulu tuer ou non ? »


(suite au prochain message)
Transcription André PAILLÉ
LE PROCÈS DU PANTHÉON
Deuxième partie
4 JUIN – 10 et 11 SEPT 1908.
Dans cette série de messages pour ce blog, vous pouvez lire des extraits du Procès du Panthéon.
Très peu de détails sur cet événement de grande importance sont publiés à ma connaissance.
Pour vous démontrer à quel point le résultat du jury fut ignoble, selon moi, je transcris ici quelques pages.
Ces pages sont aussi publiées dans le Forum des Cahiers-Naturalistes.

QUESTION

Si Grégori était jugé 100 ans plus tard, connaîtrait-il le même jugement ?


André PAILLÉ

Source (Copie de la page couverture)

LE PROCÈS DU PANTHÉON 4 JUIN – 10 et 11 SEPT 1908
GRÉGORI – DREYFUS ET ZOLA DEVANT LE JURY
LA RÉVISION DE LA RÉVISION
PRÉFACE ET PORTRAIT DE GRÉGORI
COMPTE RENDU STÉNOGRAPHIÉ ET REVISÉ DES DÉBATS
AUX BUREAUX DE LA « LIBRE PAROLE »
14, Boulevand Montmartre, 14
PARIS
CET EXEMPLAIRE DE PROPAGANDE DOIT ÊTRE REMIS GRATUITEMENT


Page 41 (suite)

R.—Cela est exactement difficile, si l’on n’a pas la configuration des places, pour une scène que a duré deux minutes.
Considérez que j’arrive entre les deux premières banquettes qui sont devant moi, et que le commandant Dreyfus est situé au premier rang. Je tire mon premier coup de revolver à son bras.

D.—La position d’abord.

R.—Le commandant Dreyfus est sur la première banquette, je passe entre la première et la seconde.

D.—Face au catafalque ?

R.—Non. —Le cortège a commencé à défiler. Le commandant Dreyfus regarde défiler le cortège. Je ne puis l’empêcher d’avoir cette attitude. Je ne puis lui demander de se retourner. Du reste, ma manifestation ne devait rien avoir de dangereux pour lui. Je tire un coup de revolver dans la position où je pouvais l’aborder, étant convaincu que ce serait une manifestation sans aucun danger pour lui.

D.—Vous étiez derrière lui ?

R—Non, j’étais obliquement. Je reconstituerai avec une minutie complète la scène, et s’il n’y a pas d’inconvénients, avec Dreyfus lui-même.

D.—Je veux bien que le mouvement que fait le commandant Dreyfus pour suivre le cortège fasse que vous vous trouvez un peu de côté, mais vous vous êtes approché derrière lui ?

R.—Je ne puis en toute sincérité vous dire si j’étais rigoureusement derrière. Lorsque le commandant Dreyfus sera là, nous reconstituerons la scène, — sans faire passer le cortège, bien entendu, — je montrerai comment j’ai perpétré mon « formidable » attentat, vous verrez que je n’étais pas derrière lui, mais obliquement.

Page 42

D.—Vous êtes arrivé par derrière. Le mouvement qui a été fait pour sortir des rangs a fait que vous vous êtes trouvé obliquement. C’est possible.

R.—Il m’était difficile d’arriver devant, je n’aurais rien pu faire, et puis, c’était la disposition des lieux : j’ai pris le passage qui m’était offert dans les conditions d’imprécision et de rapidité que l’affaire comportait. Je ne puis dire si je suis passé devant ou derrière, j’ai pris le couloir entre deux banquettes pour arriver jusqu’à lui.

D.—Vous étiez porteur d’un revolver ?

R.—Parfaitement.

(…)

Page 43

D.—L’accusation dit que vous avez prémédité votre acte et acheté votre arme avec l’intention de vous en servir à la cérémonie du Panthéon. Je vois des points d’exclamation qui suivent les mots : « Accident évité ». Je les avais traduits ainsi : Quel présage ! l’accident aurait pu arriver. N’est-ce pas cela ?

R.—C’est peut-être exact ; je ne puis dire ni oui ni non, non pas pour me dérober. Cela m’est sorti de l’esprit.

D.—Vous n’êtes pas retourné dans le magasin où l’on avait fait une mauvaise affaire en reprenant une arme qui n’était pas d’une vente quotidienne. Le revolver nouveau que vous avez emporté, sans être une arme très brillante, — vous êtes chasseur, vous êtes journaliste militaire, — vous reconnaissez que c’était une arme meilleure. Et vous avez emporté aussi une boîte de cartouches. Comment ont-elles été choisies dans le magasin ?

Page 44

R.—J’ai demandé des cartouches, c’est bien simple; je n’ai pas demandé des cartouches qui fussent ce qu’on appelle de première qualité. De même que le revolver que j’avais rendu était de qualité secondaire, on me rendait troc pour troc une arme meilleure avec des cartouches de seconde qualité.

D.—C’est que je voulais vous faire dire. Y avait-il dans le choix des cartouches une intention ?

R.—Mon intention est manifeste. A supposer que rien n’arrivât à la traverse de mon projet d’exécution d’un geste contre la participation des troupes à la cérémonie du Panthéon (chose qui ne m’était point démontrée à ce moment,) je dis : « Ma manifestation sera faite, mais dans les conditions les plus inoffensives et les moins dangereuses pour mon objectif. »

D.—Prenez garde à l’importance des mots : la manifestation la moins dangereuse, il n’y avait qu’à acheter des cartouches à blanc. Dans les théâtres, où l’on consomme beaucoup de poudre, et où l’on tue peu de figurants, on a des cartouches qui font du bruit et qui ne tuent personne.

R.—Je n’ai pas pensé aux cartouches à blanc. Si cela était venu à ma pensée, je l’aurais fait peut-être ; j’ai pensé à des cartouches presque inoffensives.

D.—Une expertise a été faite. (…) On a fait des expériences de tir sur un cadavre que l’on a revêtu d’une manche de la redingote même de Dreyfus, la même étoffe, le même drap, le même linge, c’est-à-dire dans les conditions de similitude complète. On a tiré des balles qui restaient dans le barillet de votre revolver.

Page 45

R.—Trois sur cinq.

D.—Eh bien, la première balle tirée dans ces conditions a en un résultat spécial, il n’y a pas eu de pénétration complète ; la seconde, au contraire, tirée à la même distance, avec toutes les circonstances semblables, a eu une force de pénétration telle, que la perforation a été complète et le bras traversé de part en part.

R.—Je ne le crois pas. Je n’ai pas un souvenir assez complet de la procédure pour vouloir rectifier cette version. Dans tous les cas, ne serait-il pas juste de commencer par envisager les résultats des deux coups de revolver sur la personne de M. Alfred Dreyfus ? Les expériences sur le cadavre, je ne dis pas qu’elles soient du luxe, mais cela me paraît donner une couleur un peu dramatique à un incident qui n’avait pas cette portée.

(suite au prochain message)
Transcription André PAILLÉ
LE PROCÈS DU PANTHÉON
Première partie
4 JUIN, 10 et 11 SEPT 1908.
Dans une série de messages pour ce blog, vous pourrez lire des extraits du Procès du Panthéon.
Très peu de détails sur cet événement de grande importance sont publiés à ma connaissance.
Pour vous démontrer à quel point le résultat du jury fut ignoble, selon moi, je vous transcrirai quelques pages.
Ces pages sont aussi publiées dans le Forum des Cahiers-Naturalistes.
Transcription André PAILLÉ

QUESTION

Si Grégori était jugé 100 ans plus tard, connaîtrait-il le même jugement ?

Source (Copie de la page couverture)


LE PROCÈS DU PANTHÉON 4 JUIN – 10 et 11 SEPTEMBRE 1908
GRÉGORI – DREYFUS ET ZOLA DEVANT LE JURY
LA RÉVISION DE LA RÉVISION
PRÉFACE ET PORTRAIT DE GRÉGORI
COMPTE RENDU STÉNOGRAPHIÉ ET REVISÉ DES DÉBATS
AUX BUREAUX DE LA « LIBRE PAROLE »
14, Boulevard Montmartre, 14
PARIS
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Page 7

Aux millions de Français et Françaises, toutes et tous convaincus des impostures, trucs et crimes de l’Affaire Dreyfus et de la Revision;
A mes chers souscripteurs, où l’élément féminin, si patriote et vibrant, figura pour large part,
Et à mon grand camarade Ed. Drumont,
Je dédié ces lignes.
L. Grégori
Arrêté le 6 Juin 1908 au Panthéon pour avoir tiré, non sur Dreyfus, mais sur le Dreyfusisme;
Acquitté le 11 Septembre suivant par le Jury de la Seine.


La scène à l’intérieur du Panthéon

Page 37
R.—.…je n’ai pas eu de carte de presse, mais une carte de promenoir, pour ainsi dire, qui m’a été délivré par un des nombreux amis amis que j’ai même dans les ministères…

Page 38
R.—J’arrivai sur les bancs de la presse, à travers toutes les rangées d’huissiers et les gardiens et près du commandant Dreyfus; et la manifestation à laquelle j’avais songé, je n’ai pas à le cacher, je la fis dans des conditions purement symboliques, si je puis ainsi m’exprimer, avec la certitude de ne pas abîmer le commandant ou M. Dreyfus, mais de produire une protestation énergique contre la cérémonie du Panthéon.

Page 39
R.—Non seulement je connaissais Dreyfus de vue, mais je prétends l’avoir vu de plus près que je n’ai l’honneur, Monsieur le Président, de vous voir vous-même et l’avoir immédiatement jugé dans des circonstances que je répéterai tout à l’heure à Messieurs les jurés, au Conseil de guerre du 19 décembre 1894, où le principal accusateur de Dreyfus fut Dreyfus lui-même par son attitude pour quelqu’un qui n’avait pas l’ombre d’un parti pris. Vous savez, et vous l’avez constaté, que je n’ai pris aucune part aux luttes suscitées par l’affaire, que je n’y suis entré au dernier moment qu’en raison de l’appareil militaire déployé au Panthéon pour rendre les honneurs à Dreyfus, que je considère toujours comme coupable, j’en donnerai les raisons avec la même absence de tout parti pris, mais exclusivement au point de vue technique. De même que je trouvai la cérémonie scandaleuse au point de vue de la célébration du souvenir de Zola, l’auteur de la Débâcle et de J’accuse. Il ne faut pas oublier que telles furent mes déclarations immédiates à la mairie du Panthéon…..

D.— Il ne faut pas aller trop vite. Je vous disais que vous connaissiez Dreyfus de vue, vous rappelez un souvenir qui remonte à 1894, mais vous l’avez vu depuis la Révision.

R.—J’ai rencontré, comme tout Parisien, le commandant Dreyfus, dont la physionomie, pour moi, est un sujet d’études des plus intéressantes, mais je ne l’ai jamais recherché ou poursuivi.
L’acte d’accusation dit que j’avais conçu une haine profonde pour le commandant Dreyfus, c’est du roman de portière.
Je n’ai aucune haine contre le commandant Dreyfus; j’ai un sentiment personnel contre le Dreyfusisme et contre son œuvre, contre ce que je considère comme de véritables méfaits commis par le Dreyfusisme, surtout dans l’ordre militaire.
Je n’ai jamais crié cela par dessus les toits, il n’y aurait pas eu de cérémonie du Panthéon et surtout les honneurs militaires rendus à Dreyfus et à Zola par la garnison de Paris, qu’on n’aurait pas entendu parler de moi. J’ai rencontré Dreyfus comme un Parisien, après l’avoir noté avec une attention parfaite, sans aucun esprit partial, en toutes circonstances où je l’ai vu, et j’aurais pu lui dire : « Monsieur Dreyfus, voilà ce que vous pensez dans telle cérémonie ; vous trouvez que les gens qui glorifient les dupes ou les complices de votre réhabilitation sont – comment trouver le mot ?— bien « poires »! Voilà bien l’expression de l’attitude et du visage de Dreyfus.

Page 40

D.—Il ne faut pas anticiper. Je vais tâcher de mettre de l’ordre. J’apporte le témoignage du dossier, non le mien, à l’appui de certaines observations fort importantes que vous avez jugé à propos de faire et qu’il était nécessaire, pour la probité du débat, de faire tout de suite. Vous avez dit que dans la période de luttes de l’Affaire Dreyfus vous y avez été peu mêlé. Il y a un témoignage, – ce que je vais dire est en votre faveur, qui m’a frappé beaucoup, celui d’un journaliste, il se nomme Durand, qui dit : « J’ai été fort étonné de voir M. Grégori se livrer à un acte semblable, d’autant que je l’avais rencontré dans la période de fièvre de l’Affaire Dreyfus, et qu’il ne m’avait jamais paru parmi les violents et les emportés. Il parlait sur ces questions avec calme, comme tout le monde. Il n’était pas des violents. » Voilà qui est plutôt en votre faveur. Vous avez dit encore que vous avez fait avec votre esprit critique…..

R.—Pas critique, d’observation.

(…)

Page 41

D.—…Pour la compréhension, nous nous souviendrons qu’il y avait différents morceaux de musique : la Marseilllaise, un prélude de Messidor, de Gounod; la Marche Funèbre, de Beethoven; le discours du ministre de l’instruction publique, un quart d’heure ou vingt minutes.

R.—Vingt, trente minutes.

D.—Une symphonie de Beethoven, enfin, le Chant du Départ. Voilà le programme. Il y avait peut-être quelque utilité à le rappeler, car il y a des phases de la scène qu’il est possible de préciser dans leur succession par l’exécution du programme. Je l’ai copié sur le dos de la carte rose numéro 717 qui nous a permis d’entrer; on venait de commencer le Chant du Départ. Tout le monde était debout, le défilé officiel allait commencer. Mme Zola allait sortir probablement une des premières, puis les ministres, les personnages officiels, les grandes corporations de l’État dans un ordre protocolaire, la famille Dreyfus, le commandant Dreyfus, entouré de son frère, de sa femme, de ses enfants, il allait suivre le défilé pour sortir du temple. Où étiez vous à ce moment ?

(suite au prochain message) Transcription André PAILLÉ
Allocution de M. Jacques CHIRAC,
Président de la République
à l'occasion de la cérémonie nationale
organisée à l'occasion du
Centenaire de la Réhabilitation
d'Alfred Dreyfus.

Ecole militaire, Paris, le mercredi 12 juillet 2006.

Madame la ministre,
Monsieur le ministre,
Monsieur le Premier Ministre,
Monsieur le Premier Président,
Mesdames et Messieurs,


Le 5 janvier 1895, le capitaine Dreyfus est dégradé pour avoir trahi la France. Le pire des crimes pour un officier. Mais ce crime, Dreyfus ne l'a pas commis. Au matin, dans la cour d'honneur de l'École militaire, un adjudant s'approche de lui. Il lui arrache boutons, bandes de pantalon, insignes de grade. Il brise le sabre de l'officier. Devant lui, Dreyfus reste droit et digne. Un photographe a choisi cet instant, il l'a saisi. Et Cent ans plus tard, on en ressent encore toute la violence. Le capitaine Dreyfus a vu tomber à ses pieds les lambeaux de son honneur. Il a dû affronter les invectives de la foule. Moment terrible pour cet Alsacien qui a choisi en 1872, après l'annexion par l'Allemagne, de rester Français. Lui qui, à l'âge de l'adolescence, a juré de devenir soldat pour défendre sa patrie.

Le voilà relégué sur l'île du Diable, au large de la Guyane. Pendant près de cinq ans, Dreyfus est enfermé dans quelques mètres carrés. A partir de 1896, il est mis aux fers chaque nuit. On dresse autour de lui une double palissade : il ne peut même plus apercevoir la mer, sa grande consolatrice. De Dreyfus, on ne devait plus jamais entendre parler.

On en a parlé pourtant. Pendant des années, on n'a même parlé que de cela : car Dreyfus était innocent.

Il n'y aurait jamais dû y avoir d'Affaire Dreyfus : cette médiocre machination aurait pu être dévoilée dès le départ. Mais, parce que la haute hiérarchie ne pouvait s'être trompée, le capitaine devait à tout prix rester coupable. On invoquait l'intérêt supérieur de la nation. Il ne s'agissait que de dissimuler les médiocres défaillances de quelques responsables.

Mais d'autres ont refusé la conspiration de l'injustice. Face à l'adversité, ils ont livré le combat de l'honneur, le combat de la vérité.

Et d'abord, bien sûr, Dreyfus lui-même. Issu d'une famille juive profondément ancrée dans la République, polytechnicien, brillamment sorti de l'école de guerre, admis au sein de l'état-major, il a accompli, par son travail et sa compétence, une carrière exemplaire d'officier d'élite de l'armée nouvelle. Soudain, cet homme est pris dans l'engrenage d'une effroyable erreur judiciaire. Mais il ne se résigne pas : il veut sauver son honneur et l'honneur des siens. Plus que tout, il croit en la France et en la République.

S'il accepte en 1899 la grâce présidentielle, c'est à la condition de continuer à lutter pour faire reconnaître son innocence. Il se bat pour que son procès soit révisé. Réhabilité, il est mobilisé pendant la Première Guerre mondiale et il combat vaillamment pour son pays.

La fermeté d'âme, la droiture, le courage exemplaire d'Alfred Dreyfus forcent l'admiration. Un officier exemplaire qui, dans les plus terribles épreuves, a toujours agi en soldat. Un patriote qui aimait passionnément la France et qui n'a jamais douté d'elle. Un homme aussi, sachons le reconnaître, à qui justice n'a pas été complètement rendue : la mort dans l'âme, faute d'avoir bénéficié de la reconstitution de carrière à laquelle il avait pourtant droit, l'officier a dû quitter l'armée. C'est pourquoi la Nation se devait aujourd'hui de lui rendre un hommage solennel.

Et puis, il y a le lieutenant-colonel Picquart : nommé chef des renseignements militaires, il comprend que Dreyfus n'est pas coupable. Officier loyal, il s'en ouvre à ses chefs. "Si vous ne dites rien, personne ne saura": voilà la réponse qu'il reçoit. On l'écarte de son poste, on l'envoie en mission dangereuse. Il pourrait se taire. Il choisit de parler. Sa carrière, sa vie même ont failli en être brisées. Mais lui aussi aime l'armée. Il croit en elle : il veut qu'elle soit juste. Ses chefs se refusent à comprendre à quel point le déni de justice fait à Dreyfus est préjudiciable aux intérêts de l'armée, aux intérêts de la France. Le Lieutenant-colonel Picquart remplit son devoir d'honnête homme :son devoir patriotique.

Ces hommes ont créé les conditions du sursaut républicain. Déjà, l'innocence de Dreyfus ne fait plus guère de doute. L'erreur judiciaire qui l'a frappé prend une nouvelle dimension. Alors commence véritablement l'Affaire : une crise majeure, mais aussi un moment fondateur pour l'enracinement de la République.

Chacun doit choisir son camp. Deux conceptions de l'individu et de la nation s'affrontent . D'un côté, il y a ceux pour qui la raison d'Etat, l'honneur de l'armée doivent prévaloir sur toute autre considération, y compris les droits de l'Homme. Pour eux, même innocent, Dreyfus doit rester coupable. Tout est bon pour l'abattre et, à travers lui, atteindre une République encore fragile.

De l'autre côté, il y a ceux qui combattent au nom du droit fondamental de chaque personne à la justice. Ils considèrent qu'en reconnaissant l'erreur commise, en innocentant Dreyfus, la France se grandit.

Ces hommes ont des parcours, des croyances, des opinions très différents : Clemenceau, Émile Zola l'écrivain engagé et Anatole France, l'académicien au faîte de sa gloire. Léon Blum le socialiste et Charles Péguy, le poète catholique. Bernard Lazare, l'anarchiste et le vice-président du Sénat Auguste Scheurer-Kestner. Jaurès, l'éloquence faite homme, et le pur et ardent Lucien Herr, bibliothécaire de l'Ecole normale supérieure. Ce qui les rassemble tous, c'est leur engagement dans l'Affaire. Il transcende leurs différences dans la lutte pour des valeurs communes.

Avec eux, le combat pour Dreyfus devient un combat pour tant et tant de Français. Un combat universel. Un combat pour tous les hommes. Clemenceau l'écrit, dans l'Aurore : la République, fondée sur la liberté et la justice, est incompatible avec l'arbitraire et la raison d'État.

La violence des antagonismes nés dans l'Affaire est d'une violence extrême. Dans un pays où les Juifs ont obtenu l'égalité des droits civiques dès 1791, l'antisémitisme se déchaîne, dans les rangs nationalistes, et ceci avec une violence inouïe. Pour ou contre Dreyfus, on se bat en duel.
Des hommes meurent. Des familles se déchirent.

Mais, grâce à la mobilisation des dreyfusards, la voie est enfin ouverte pour la révision. Le 12 juillet 1906, il y a cent ans jour pour jour, la Cour de cassation rend son arrêt. Après avoir conclu, comme vous venez de l'entendre, " que de l'accusation portée contre Dreyfus rien ne reste debout ", elle annule la décision du conseil de guerre de Rennes. Réhabilitant Dreyfus, elle se place sur le terrain des principes : la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, les règles fondamentales du Droit naturel, le primat des droits individuels sur la raison d'Etat.

L'erreur judiciaire qui fit le malheur de Dreyfus a pris une dimension universelle. L'affaire aurait pu porter un coup fatal à la République : au lieu de cela, non seulement elle a surmonté la crise, mais elle en est sortie plus forte. Plus assurée de sa légitimité et de ses valeurs. Ses piliers y ont trouvé une solidité nouvelle : l'armée, à qui l'on allait demander tant de sacrifices en 1914, s'est ancrée définitivement dans la République. La justice, avec la Cour de Cassation, a démontré son impartialité et son attachement aux droits de l'homme. La presse qui a su endosser le rôle de contrepouvoir, un rôle indispensable en démocratie. L'élite de la République, professeurs, savants, écrivains, ceux que depuis lors, on appelle les "intellectuels", ont pour la première fois exercé ce magistère moral qui marquera le siècle.

La tragédie du capitaine Dreyfus fut un moment de la conscience humaine. Elle continue à résonner fortement dans nos cœurs, dans nos esprits. Après avoir divisé le pays, elle a contribué à fortifier la République. Elle fut le creuset où finirent de s'élaborer les valeurs humanistes de respect et de tolérance. Des valeurs qui, aujourd'hui encore, constituent notre ciment. La réhabilitation de Dreyfus, c'est la victoire de la République. C'est la victoire de l'unité de la France.

Le refus du racisme et de l'antisémitisme, la défense des droits de l'homme, la primauté de la justice : toutes ces valeurs font aujourd'hui partie de notre héritage. Elles peuvent nous sembler acquises. Mais il nous faut être toujours extrêmement vigilants : le combat contre les forces obscures, l'injustice, l'intolérance et la haine n'est jamais définitivement gagné.
*
Mesdames et Messieurs,

Le 21 juillet 1906, à l'Ecole militaire, Alfred Dreyfus est fait chevalier de la Légion d'honneur. Là encore, une photographie témoigne pour l'histoire : l'officier réhabilité converse avec ses pairs. Sur le visage de ces hommes, il y a de la fierté : on a rendu son honneur volé à un soldat de la République. Aux cris enthousiastes de "Vive Dreyfus !", le capitaine répond avec noblesse :
" Non, Messieurs, je vous en prie. Vive la France ! "

Aujourd'hui, en honorant Dreyfus, Picquart et tant d'hommes d'exception, c'est à la République, et aux valeurs sur lesquelles la France s'est construite, qu'en réalité nous rendons hommage.

Vive la République ! Vive la France !


Transcription sur ce Blog ~ André Paillé - Québec - C A N A D A
Centenaire de la réhabilitation d’Alfred Dreyfus Dreyfus


Le 12 juillet prochain marquera le centenaire de la réhabilitation du capitaine Alfred Dreyfus, lequel fut condamné à la déportation à vie dans une enceinte fortifiée pour haute trahison. Victime de la fabrication de faux documents, Dreyfus était tout à fait innocent. À cette condamnation, un dur combat allait suivre jusqu’à une complète victoire au nom de la vérité et la justice. « Je ne crois pas que dans l’histoire des crimes judiciaires il y ait eu jamais un paradoxe aussi violent », écrivait Jean Jaurès, fondateur du quotidien L’Humanité en 1904. Par delà la France, l’Affaire Dreyfus s’est révélée un événement de presse international qui dure jusqu’à nos jours.

L’Affaire Dreyfus, qui dura 12 ans, est l’histoire complexe d’une douloureuse bataille devant laquelle notre raison se trouble. Il serait trop fastidieux de décrire ici toutes les facettes de cette erreur judiciaire qui divisa la France et bouleversa le monde à la fin du 19e siècle et du 20e siècle. Cette triste Affaire contient tout et son contraire : huis clos, dossiers secrets, duels, suicides, amnistie etc. Pour Dreyfus lui-même, ce furent deux simulacres de procès militaires, dégradation, bagne, exil, grâce, réhabilitation, etc.

Des centaines d’ouvrages ont été écrits sur l’Affaire, mais aucun à ce jour sur Dreyfus lui-même. M. Vincent Duclert est le premier auteur d’une biographie sur Alfred Dreyfus : L’honneur d’un patriote. Il décrit l’horreur de la tragédie qu’à subie Alfred Dreyfus et sa famille, la déportation, le courage des principes, les fausses légendes, sa résistance, ses espoirs, la victoire finale, le tout objectivement appuyé sur des faits avérés par les sources documentaires.

Signalons que Vincent Duclert a également réédité, en 2005, la correspondance croisée entre Alfred Dreyfus et sa femme, Lucie. Plutôt que d’être détenu en Nouvelle Calédonie, la France a préféré le confiner sous un soleil de plomb à l’Ile du Diable au large de la Guyane française, dans le but avoué de priver Dreyfus du droit de recevoir la visite de sa femme. D’où la nécessité pour le couple de s’échanger des lettres lues d’abord par les autorités carcérales, voire censurées. Voyons-y harcèlement et humiliation qui durèrent 4 années s’ajoutant au supplice d’un innocent torturé par des bourreaux sachant son innocence.

Vincent Duclert donne à Lucie Dreyfus l’importance qu’elle mérite. Enfin! Sans elle, Alfred Dreyfus aurait mis fin à ses jours comme les autorités auraient souhaité qu’il fasse. Personnage encombrant pour la France, Alfred Dreyfus fit serment à sa femme de résister jusqu’à son entière réhabilitation. Ainsi, l’honneur de leurs deux enfants, Pierre et Jeanne, ne serait en rien entaché par le drame de leur père, coupable d’avoir été juif. Bref, une histoire vécue démontrant le triomphe de la vérité sur la raison d’État.

L’Affaire Dreyfus n’est pas un obscur fait divers appartenant de surcroît au passé. Elle ne se limite pas non plus à la France du tournant du XXe siècle. À mon avis, elle est universelle. Le centenaire de la réhabilitation de Dreyfus mérite d’être souligné.

André Paillé
Québec ~ C A N A D A
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